Opéra #3 : Vivent les gros !

23/01/2023

L'opéra semble être un espace encore relativement préservé des exigences esthétiques concernant les corps des chanteurs. Comme l'écrit Louis Bilodeau dans son livre « Genre et opéra » (2022), il n'est pas exigé que le chanteur ait un physique en adéquation avec son rôle : « [...] une partie de la magie de l'opéra tient justement au fait que le timbre et la puissance expressive d'une voix peuvent vous transporter dans une sorte d'état second où l'on en vient à faire quasi-abstraction de l'apparence du chanteur. [...] La voix, porteuse de toutes les illusions, est ici souveraine, et ce, peu importent l'âge, la taille, la couleur de la peau... ou le sexe » (ibid, p.10).

Ainsi, nous avons la joie de voir sur les plus grandes scènes d'opéra de plantureuses Juliette et des Roméo manifestement gourmets, la princesse Turandot, d'une beauté irrésistible, incarnée par Elena Pankratova (dans la mise en scène de Philipp Stölz, 2022), ou encore Elizabeth Connell dans un duo d'amour avec Michael Spyres alors qu'elle a plus du double de son âge (dans l'Otello de Verdi, d'ailleurs une de ses dernières apparitions sur scène). N'oublions surtout pas le roi Luciano Pavarotti ni l'immense cantatrice Montserrat Caballé (en photo au sommet de cet article)... Ni tous les autres.

En effet, le poids qui pèse sur la poitrine procure à la voix une force supplémentaire, aidant énormément les muscles dévolus à cette tâche. Être gros quand on est chanteur d'opéra, c'est un avantage ; et n'oublions pas qu'il existe aussi des gens qui apprécient sincèrement l'embonpoint d'un point de vue esthétique. Or, cet espace protégé semble être de plus en plus menacé (vous pouvez lire à ce propos l'article d'Aliette de Laleu sur Slate.fr).

Par exemple, une des menaces qui me semble planer sur l'opéra (et le théâtre) est celle des écrans : les acteurs et chanteurs se retrouvent de plus en plus fréquemment filmés en gros plan par des sortes de caméras « embarquées », une véritable mode qui sévit en ce moment sur de nombreuses scènes. Non seulement on ne va pas au théâtre et à l'opéra pour se retrouver à nouveau devant des écrans, mais en plus ça nous « gave » véritablement, dans la mesure où notre attention est déjà accaparée par le chant, le texte, la musique et les acteurs... Ainsi, des acteurs sensés être observés de loin, d'une salle d'opéra ou de spectacle, sont filmés de très près, sous toutes les coutures.

Devront-ils bientôt être capables de jouer comme des acteurs de cinéma, cacher leurs rides et les poches sous leurs yeux, perdre du poids au détriment de la qualité de leur chant ? Les futurs grands chanteurs devront-ils céder à la pression et se conformer aux normes esthétiques de notre époque pour faire carrière ? Pouvons-nous espérer continuer à nous extasier devant des Brünnhilde rotondes ? Des prétendants au bedon rebondi ? Espérons que la jeunesse ne cédera pas... ça serait un grandiose doigt d'honneur aux dictats de la beauté normée et à l'hygiénisme alimentaire.


Référence de l'ouvrage de Louis Bilodeau :

Bilodeau, L. (2022). Genre et opéra. L'incertitude des sexes. Paris : Premières Loges.

Anna-Livia Marchionni 
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