Découverte #9 : Une apologie de la neurodiversité avec Jérôme Pellissier

22/03/2022

Jérôme Pellissier (ou plus exactement Juliette Jérôme Pellissier) est psychothérapeute, chercheur en psychosociologie et écrivain (entre autres), et dans son dernier essai, La fabrique des surdoués. Dangers et impostures du marché de l'intelligence (2021), elle fait preuve d'un certain courage (et de beaucoup d'exaspération).

Allant à contre-courant du mouvement ambiant, il apporte une vision critique du concept de quotient intellectuel (QI) et des tests censés le mesurer, conçus à partir d'une définition de l'intelligence... qui n'existe pas, pour donner une jolie courbe de Gauss bien équilibrée, et centrés sur une mesure chiffrable de quelques formes restreintes de la multiplicité des intelligences existantes, trop souvent présentées comme étant innées, génétiques et héréditaires, alors même que les formes d'intelligence mesurées par ces tests sont précisément celles qui sont parmi les plus entraînables (d'où des écarts de QI entre les classes sociales, les sexes, ce « racisme de l'intelligence » dont parlait Bourdieu).

Critique aussi de la « littérature surdouée » donnant un portrait robot du surdoué, de la surdouée, créant une véritable catégorie d'êtres humains dotés de super-pouvoirs qui marginaliseraient ces zèbres en les écartant du lent et lourd troupeau d'ânes incapables de les comprendre (d'où l'utilité de ces manuels-modes d'emploi). Le « diagnostic » de surdon (qui rappelons-le n'est pas une pathologie) viendrait alors sauver le/la surdouée qui s'ignore, lui donnant une grille de lecture d'elle-même, une sorte d'identité prête à l'emploi (son identité cachée qui lui serait enfin révélée), explication ultime à tous ses déboires, à toutes ses difficultés relationnelles et d'adaptation au monde scolaire puis du travail (tout en omettant les surdoués qui vont très bien et qui vivront leur vie sans étiquette, tout en omettant que des non-surdoués peuvent souffrir des mêmes difficultés dans les mêmes proportions).

Juliette Jérôme Pellissier alerte contre les dérives psychométriques et diagnostiques actuelles, normalisantes, catégorisantes et réductrices de la pluralité des fonctionnements, méconnaissant l'infinie neurodiversité humaine au mépris de « toutes les formes d'activités psychiques qui ne se laissent pas enfermer » (p. 251), risquant de concourir à la création d'une « élite techno-intellectuelle » (qui existe déjà) et qui déjà pressurise les enfants pour en faire des enfants les plus précoces possibles en dépit de leur rythme et de leur besoin d'être laissés en paix.

Lien vers le site de Juliette Jérôme Pellissier

Quelques extraits :

p. 220 : « Aujourd'hui, de nombreux chemins permettent de quitter les autoroutes. [...] Je pense aux mouvements autour de la neurodiversité et de la psychodiversité, qui luttent pour sortir les fonctionnements psychiques singuliers et atypiques du paradigme de la maladie et du déficit. Leurs chemins et leurs paroles appellent la psychologie à entendre, enfin, qu'être atypique ne signifie pas être anormal [...] »

p. 218 : « La psychologie-surdoués forme un piège très efficace. Elle ne capture plus les sensibilités-intelligences anormées à coup de divan et de psychotropes. Elle les caresse dans le sens des zébrures, elle leur murmure à l'oreille, elle leur offre un joli miroir, et c'est tout paisiblement qu'elles entrent dans leur enclos. [...] Il y a des atypismes qui ne se normalisent pas. »

Anna-Livia Marchionni 
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