Découverte #15 : "Femme, Rêve, Liberté"
« […] Ils ont un proverbe à Téhéran : « Quand les femmes prennent part à une émeute […] il faut prendre la situation au sérieux ».
Cette citation, qui date de 1912, est celle de l'Américain William M. Shuster, nommé trésorier général de l'Iran à l'instauration du second Parlement iranien. « Les femmes perses ont beaucoup fait pour garder en vie l'esprit de liberté. […] Elles ont bu à pleines gorgées la coupe du désir de liberté et offert leur contribution quotidienne à la cause de leur pays […]. » Parisa Reza, l'autrice de la nouvelle « Les trois cents » dont sont tirées ces citations (pp. 93-94), continue : « Ainsi, le combat des femmes en Iran possède une profondeur historique. […] Elles ont laissé en héritage le courage et l'audace qui caractérisent les Iraniennes d'aujourd'hui. »
« Femme, rêve, liberté » est un recueil de nouvelles inédites rassemblées chez Actes Sud par Sorour Kasmaï, écrivaine et éditrice franco-iranienne, autrice par exemple de « La vallée des aigles, autobiographie d'une fuite », où elle raconte sa fuite hors d'Iran.
Ces 12 nouvelles, écrites par des écrivaines iraniennes, posent la question de ce que c'est qu'être une femme aujourd'hui en Iran, après des décennies de théocratie totalitaire. Sans jamais s'apitoyer, elles racontent la vie sous surveillance perpétuelle, ces « comités révolutionnaires » qui sillonnent les rues pour faire régner l'ordre islamique, ces femmes en noir qui emportent dans leur fourgon celles dont les cheveux flottent librement, l'apprentissage, dès le plus jeune âge, de la dissimulation, de la menace qui vient du sein même de la famille, de l'étouffement de leur liberté et de leurs corps de femmes. « Des années ont passé et je sais très bien maintenant que si quelqu'un contrôle ce que tu portes, c'est toi qu'il contrôle », écrit Nasim Marashi, dans sa nouvelle « Code contrôle ». « Quand, toute ta vie, tu as autorisé les gens de la rue à te dire de couvrir un peu plus tes cheveux et que, en raison de cette autorisation accordée a priori, tu as réajusté ton foulard et baissé la tête en raidissant ton cou pour que le foulard ne glisse plus, il t'est difficile de t'y opposer fermement dans un autre contexte et de dire : je suis votre égale » (p. 131).
Mais ce qu'elles racontent aussi, c'est la révolte qui gronde perpétuellement en elles. Elles ne sont pas soumises. Le meurtre de Mahsa Amini en septembre 2022, assassinée par la police des mœurs, a été le meurtre de trop et leur colère a éclaté dans le pays. Ces récits sont ceux de leur révolte, de leur insoumission viscérale, de la peur qu'elles affrontent pour se battre dans les rues contre le totalitarisme aveugle, de l'angoisse d'apprendre la disparition de leurs propres enfants.
Ces récits, ces témoignages, nous aident à prendre conscience de ce qu'on peine même à imaginer. On a beau « savoir » parce que les journaux en parlent, « savoir » ne suffit pas. Il nous manque toujours les « vrais » récits, ceux qui sont racontés par les personnes qui ont vécu de l'intérieur, au quotidien, ces événements.
Le recueil « Femme, rêve, liberté » contribue à combler cette lacune dans la narration, et c'est pourquoi il est à lire et à donner à lire, sans hésitation.
Les bénéfices des ventes de ce recueil sont reversés à l'ONG Iran Human Rights.