Chronique #12 : De l'homophobie intériorisée

12/11/2022

Ayant il y a quelques temps regardé la saison 1 de la série « Years and years » (que je vous déconseille si vous n'aviez pas déjà prévu de vous pendre prochainement), j'ai cherché à en savoir plus sur les acteurs, que je ne connaissais pas. Parmi eux, l'actrice T'Nia Miller, d'une beauté totale, et celui qui joue le rôle d'un homme gay, un certain Russell Tovey, ouvertement gay dans la réalité.

Je tombe sur quelques articles concernant la bête : « Six bonnes raisons de vouloir épouser Russell Tovey », « Russell Tovey s'est fiancé avec son rugbyman » (pas de panique messieurs : les fiançailles ont été rompues fissa), « RT et son nouveau fiancé footballeur » (ah, si vous briguez le poste, vous allez devoir faire pas mal d'abdos)... et puis : « Son père voulait le guérir avec un traitement médical » et : « RT a choqué les mecs gays efféminés »). Ça commençait à devenir intéressant pour l'intello de service...

De quel dérapage notre Mister Six Pack s'est-il rendu coupable ? Il aurait dit être content que son père l'ait empêché d'aller dans une école d'art dramatique (et non de danse, contrairement à ce qu'indique l'article français), parce qu'il trouve que les étudiants y sont trop « efféminés » ; grâce à son père, il aurait heureusement pu « s'endurcir ». Comprenant le problème, l'acteur a présenté sincèrement ses excuses. Tout comme il pardonne sincèrement à son père sa volonté de le « guérir » de l'homosexualité. Il n'empêche qu'il avait trahi sa vision des choses : on peut être gay à condition d'être un homme, un vrai, six pack guaranteed ; la vision paternelle avait bien infusé.

Pardonnons-lui nous aussi sa bourde, parce qu'il a l'air d'un brave garçon et parce qu'il me semble qu'on voit là à l'œuvre ce qu'on appelle « homophobie intériorisée » ; partielle cependant, parce qu'il reconnaît et vit ouvertement son homosexualité, mais homophobie présente dans la mesure où, bien qu'étant gay, il répète des stéréotypes et entérine la stigmatisation à l'encontre d'une partie des hommes gays, ceux qui ne rentrent pas dans les cases de la masculinité prototypique. Il a intériorisé ces stéréotypes, les répète, et lui-même s'accepte en tant que gay dans la mesure où il ne correspond pas à ces stéréotypes-là.

Mais l'homophobie intériorisée, ça peut aller beaucoup plus loin : honte, culpabilité, refus de vivre son orientation sexuelle, voire refoulement total de celle-ci, tentatives de suicide, ou encore comportements homophobes et violents à l'égard des homos en tous genres, pour se prouver et prouver aux autres qu'on n'en est pas... Et ne croyez pas que ce phénomène date d'une époque révolue. Certainement beaucoup moins fréquent de nos jours, il existe pourtant encore.

Laquelle d'entre nous ne connaît pas une caissière qui a un béguin évident pour elle et qui pourtant lui fait clairement comprendre qu'elle la méprise pour son homosexualité trop manifeste ? Je vous laisse méditer sur l'ambivalence qui peut parfois se cacher derrière l'homophobie ordinaire... (et préférons toujours les caissières homophobes aux caisses automatiques ; ceux qui auront survécu jusqu'à l'épisode six de la série me comprendront).

Anna-Livia Marchionni 
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